Ateliers d'écriture

Mon ami et collègue Erwan organise régulièrement des ateliers d'écriture ouverts à toustes. J'essaie d'y participer dès que je peux, parce que j'aime aussi écrire en dehors de la BD. Ça me permet de pratiquer le format de la fiction (très) courte, que je trouve particulièrement intéressant. Enfin, comme chaque texte est écrit avec des contraintes plus ou moins importantes, le plaisir est toujours renouvelé !

Note : Cette page n'est pas à jour, j'ai beaucoup de textes en réserve. Mais je dois tous les taper au clavier pour pouvoir les publier ici et ça prend du temps. Oui, j'écris tout dans un carnet lors des ateliers. C'est parce que je suis un fétichiste des stylos. En tout cas je remplis cette page petit à petit.

Date : 30/11/2024

Exercice : Phrase thème. Écrire un texte inspiré de la citation suivante : "The cave you fear to enter holds the treasure you seek" -Joseph Campbell.

Oh merde. Oh meeeeeerde merde merde ! Elle est là ! Je savais parfaitement qu'elle allait être là, d'accord, mais là, maintenant, c'est réel ! Elle est vraiment la !!!
Ça se voit que je panique, là ?
Bordel. Allez, ressaisis-toi, ma vieille. Tu dois avoir l'air ridicule, plus rouge que ton verre de... De quoi déjà ? Je n'ai tellement pas l'habitude de ces soirées que j'ai attrapé le premier gobelet qui m'est tombé entre les mains en m'approchant de la table des boissons. Je n'ai aucune idée de ce que c'est, mais j'en ai déjà bu une gorgée qui m'a mis un haut-le-cœr, je suis sûre qu'il y a de l'alcool dedans et...
Bordel. Je suis vraiment en train de paniquer, mes pensées partent dans tous les sens. Concentre-toi, t'étais en train de penser à elle ! Je la cherche des yeux. Aaaaaah, il y a tellement de monde ! Dire que je ne suis pas dans mon élément est un euphémisme. Je suis comme la pire looseuse du lycée qui débarquerait dans la soirée la plus branchée de l'année...
Parce que c'est exactement ce qui est en train de se passer, en fait.

Normalement, je ne participe pas à ces rassemblements si chers à mes camarades. Trop de monde, trop de bruit, trop de musique, trop de... Bref, c'est pas pour moi?
Mais elle, elle allait être là. Alors je devais y être.
Elle, c'est Judith. Elle vient de remporter le premier prix du concours national de Géo inter-lycées et c'est la fille la plus extraordinaire sur laquelle j'ai eu la chance de poser les yeux.
Je savais qu'elle serait là parce que la soirée est organisée par sa meilleure amie. Je ne crois pas que Judith soit si fan de ces petites sauteries non plus mais son amie l'a poussée à venir pour fêter sa réussite au concours.
Et moi qui était assise à la table derrière elles quand elles en ont parlé, j'ai décidé que je viendrai aussi.
Une décision que je commence à regretter.

Je ne sais pas si vous avez déjà vécu ça, mais être une amoureuse transie du fond de la classe qui passe son temps à regarder le dos de l'objet de son admiration pendant chaque heure de cours, ça vous permet de jouer le rôle de la poêtesse maudite qui sublime sa douleur pour toucher le divin pendant dix jours, maximum, après ça devient juste insupportable.
Attendez.
Est-ce que je viens de m'avouer que je suis amoureuse d'elle ?
Mais qu'est-ce qu'il y avait dans ce verre, putain ? Je vais crever de honte.
...
Finalement, je n'en meurs pas. Qui l'eut crû ?

En attendant, je vois Judith qui s'éclipse. Elle et son groupe de copines vont s'installer autour d'une table dans la pièce d'à côté. Noooooooon Judith ! Ne t'éloigne pas ! Je te jure que j'étais sur le point de venir te parler !
...À qui est-ce que je vais faire croire ça ? Je suis juste en train de me chier dessus, sauvée uniquement de la masse qui grouille autour de moi par la masse qui grouille autour de moi sans me prêter la moindre attention. Dépitée, esseulée, désorientée, l'objet de mon affection partie dans une pièce inexplorée, je reste plantée là sans savoir quoi faire.
Jamais je n'oserai aller là-bas. C'est mort. C'est fini. Jamais je ne reverrai son si beau sourire qui illumine autant son visage que la pièce, le monde...
...
Oh et puis merde.
Poussée par une force invisible venue du fond des âges, je fends la foule d'un air déterminé. Je me rapproche de la porte, n'hésitant pas à jouer des coudes au besoin. Je pose la main sur la poignée, je la tourne et dans un même mouvement fluide, je rentre et ferme la porte. Ça y est ! Je suis...
...Dans la cuisine.
Toute seule.

Oh merde merde merde chier putain aaaaaah JE ME SUIS TROMPÉE de pièce ! C'est pas là du tout qu'elles sont allées ! Ça y est c'est fini, la honte me submerge, je n'arriverai plus à quitter cet endroit je vais me fossiliser dans cette cuisine, je vais...
"Salut !"
Toutes mes pensées se stoppent net.
Je me retourne lentement.
Judith est là, devant moi.
Je n'arrive plus à penser.
"Désolée si je t'ai surprise ! Je t'ai vue entrer dans la cuisine, alors j'ai sauté sur l'occasion. Enfin, je veux dire..."
Sauté sur l'occasion ?
"Tu veux un verre ?"
Elle me regarde droit dans les yeux. Comme son regard est profond.
"Oui, avec plaisir," je lui réponds.
Elle me sourit. Elle attrape deux verres et commence à me parler. Je crois qu'elle veut mieux me connaître.
Je m'installe sur une chaise à côté d'elle. Je crois qu'on ne va pas se quitter de la soirée.
Au moins.

Date : 9/11/2024

Exercice : Phrase de fin. Écrire un texte qui se termine par une phrase commune. Ici : "La danse se poursuivit jusqu'au bout de la nuit".

Les yeux se ferment sur un monde disparu. Le dernier parothérium s'éteint et avec lui, son espèce. Aucun être vivant ne peut concevoir l'annihilation totale de sa clade. L'imaginer, la redouter, l'anticiper, la théoriser, oui. Mais la concevoir, la ressentir telle qu'elle se produit, demande d'atteindre un niveau de mort intérieure tout simplement incompatible avec la vie.

Le parothérium n'avait donc pas pu se préparer à la disparition totale de son espèce. Comment aurait-il pu ? Les changements subis par son environnement étaient trop subtils, trop graduels. Son espèce trop hyperspécialisée pour survivre à de tels bouleversements. Il avait suffit d'une simple mutation chez l'arbre fruitier qui composait l'alimentation principale des parothériums pour que la moitié de la population périsse de famine. La lente glissée vers une nouvelle ère glaciaire s'était chargée de la moitié restante.

Voilà pourquoi le dernier parothérium, au moment de sa mort, contemplait un monde qui avait déjà cessé d'exister. Son territoire s'était inexorablement réduit comme une peau de chagrin. Il ne faudra qu'un mois après son décès pour que la neige atteigne l'endroit pour la première fois de l'histoire de cette planète. Ainsi vont les choses. Mais tout changement, aussi mortifère soit-il, n'affecte les êtres vivants de la même manière.

Voici que s'approche une jeune kalioptérix. Cette espèce charognarde a peu de prédateurs, rapport à sa petite taille et ses habitudes de vie qui lui font éviter pratiquement tout contact avec d'autres espèces. La présence d'une carcasse de parothérium toute fraîche est une aubaine pour cet individu. La quantité de nourriture que cela représente, le fait que les kalioptérix peuvent se nourrir de viande dans un état de décomposition assez avancé, associé aux températures qui ne cessent de baisser, assurent à cette jeune une ressource de nourriture pour de nombreux jours à venir.

Toutefois, la survie n'est pas affaire d'égoïsme. Aucune espèce n'a jamais survécu en limitant l'accès aux ressources à ses congénères. Cette kalioptérix l'a bien compris. Leur espèce est suffisamment sociale pour que plusieurs individus habitent le même territoire. Elle part donc prévenir ses congénères, bondissant à leur rencontre, pour les informer de la manne de nourriture qui vient de s'offrir à son groupe. Très rapidement, une foule de petits vertébrés se précipite sur le corps à peine refroidi du dernier parothérium. Commence alors un rituel funéraire frénétique, une vénération de la chair morte qui vient nourrir la vie. Les griffes creusent. Les dent déchiquètent. Les naseaux s'enivrent, les langues s'abreuvent. La cathéfrale de la cage thoracique de l'autrefois imposant animal s'ouvrant pour laisser admirer une procession de viscères, prêtes à se jeter dans la gueule des adorateurs et adoratrices venu-e-s à sa rencontre. Une véritable ferveur s'empare de ces nouveaux fidèles. Leurs gesticulations et mastications semblant s'adresser directement au dernier parothérium, espèce qui s'éteint pour que d'autres puissent briller. Les kalioptérix s'agitent, se bousculent, virevoltent, vivent. La danse se poursuivra jusqu'au bout de la nuit.

⁂⁂⁂

Exercices : Texte à thématique et nuage de mots. Écrire un texte sur une thématique donnée. Ici : la métamorphose. En plus de cela, inclure un maximum de mots de la liste suivante : matinée, orage, partiellement, intelligence artificielle, gloire, tableau, espoir.

J'étais assise sur un tabouret, la capsule était posée devant moi, n'attendant que d'être ouverte.
La pièce était autrement totalement vide. Du moins, en apparence. Je ne savais que trop bien que j'étais en réalité observée par l'intégralité de l'équipe scientifique du laboratoire, à travers des caméras cachées dans la pièce, des capteurs sur l'intégralité de mon corps et même à l'intérieur. Les meilleures intelligences artificielles à notre disposition prêtes à analyser l'immense et surtout sans précédent flux de données que tous et toutes s'attendaient à recevoir.

Moi, j'étais assise là et je ne savais pas si j'étais sur le point de sauver l'humanité ou de briser tous les espoirs placés en moi.
J'avais un choix très simple à faire : ouvrir cette capsule et libérer son contenu, ou bien ne rien faire. Bien sûr, si on m'avait placée là, avec toutes ces attentions tournées vers moi, c'est qu'on s'attendait à ce que j'ouvre la capsule. Mais je n'étais pas sûre de le vouloir. Ladite capsule était un cylindre de 20 centimètres de diamètre et de 50 centimètres de long, fermé hermétiquement. Un bouton sur son sommet provoquerait son ouverture. Son contenu serait alors libre de s'échapper. La moitié de la capsule étant composée de plexiglas, transparent, ledit contenu était parfaitement visible. Le tableau était peu avenant : une sorte de liquide visqueux noir et épais, vaguement bleuté, s'agitait dedans. Collant aux parois, en proie à une agitation grandissante. Car oui, le contenue de la capsule était vivant. Enfin, partiellement.

Cette espèce de boue qui s'agite derrière le plexiglas est un organisme artificiel. C'est aussi un organisme symbiotique, c'est-à-dire que pour vivre, il doit se lier à un autre être vivant, pour accéder à des fonctions qui lui sont interdites dans son état seul (comme se nourrir, par exemple). On m'a assuré qu'il s'agit bien là de symbiose et pas de parasitisme. En se liant à un, ou une en l'occurence, hôte, ce truc n'est pas censé faire du mal à cette dernière. Il a été conçu pour que l'union soit mutuellement bénéfique. Très bénéfique.
Mais vous savez quoi ? Ce n'est même pas la peur que ce truc puisse me bouffer de l'intérieur, ou pire, prendre le contrôle de mon cerveau ou je ne sais quoi qui fait que j'hésite encore à appuyer sur ce bouton, malgré l'impatience que j'imagine grandissante des scientifiques et des huiles de l'autre côté de la glace sans tain.
C'est de savoir si j'ai envie de passer le reste de ma vie avec ce truc qui me terrifie.
Les scientifiques m'assurent aussi qu'il existe un moyen de nous séparer après que la symbiose soit faite. En théorie. Même si j'étais partante sur cette base-là, je les soupçonne de ne pas avoir consacré beaucoup de temps ni de budget sur la question...
Il faut dire qu'iels n'ont pas eu beaucoup de sujets d'expérimentation jusqu'à présente. Parce qu'en plus d'être extrêmement collant (c'est le moins que l'on puisse dire), ce truc fait son difficile. Iel refuse de se lier à ce qu'iel ne considère pas, selon les termes des scientifiques, comme "un être en parfaite adéquation génétique et physiologique avec ses critères". Apparemment, les blouses blanches ont réussi à lui soutirer quels sont ces critères et, toujours si on en croit les scientifiques (et ça commence à faire pas mal de crédit que je suis censée leur donner), je suis une des rares à les remplir à 100%.

Donc, ce qui va se passer, c'est que dès que j'aurais ouvert la capsule, le symbiote va dégouliner par terre, immédiatement sentir la présence d'un être hautement compatible à proximité, puis se jeter sur moi pour se lier à mon organisme, à moi-même, de la façon la plus intime qu'on ne puisse imaginer.
Non mais vous vous rendez compte ? Ce truc est censé créer avec moi une relation tellement fusionnelle qu'elle en ferait crever d'envie tous les pervers romantiques les plus détraqués du monde. Pour autant qu'on puisse le considérer, ce truc DEVIENDRA moi. Je deviendrai ce truc. Je ne suis pas censée y perdre au change, comprenez-moi bien. Je n'ai pas accepté sans raison (et pas sous la contrainte, car j'ai entendu les rumeurs, je ne suis pas naïve). En me liant au symbiote, je suis censée accéder au top des performances physiques humaines, et même au-delà. En étant en moi, le symbiote remplacera mon système immunitaire pour me rendre pratiquement insensible à tout pathogène. Mes capacités de régénération seront poussées à un niveau proprement inouï. Mes sens seront exacerbés. Mes capacités physiques seront surhumaines. D'un point de vue physiologique, je serai au sommet de ma gloire, et je ne déclinerai jamais.
Le genre d'offres pour lequel certaines personnes seraient prêtes à tuer. Mais seraient-elles prêtes à y laisser leur "moi" ?
Qu'est-ce qui me garantit que je serai encore moi après la symbiose ? Au sens strict du terme, je sais bien que ça ne sera pas le cas. Je ne serai plus uniquement humaine, je ne serai donc plus "moi". Au-delà de toute modification incontrôlée, c'est ce qui me fait le plus peur.
Ce qui est absurde. Je ne serais même pas capable de vous donner une définition un tant soit peu exacte de ce "moi". Et elle serait de toute façon partielle, incomplète et à durée limitée. Vous croyez que je suis encore le "moi" de quand j'avais 10 ans ? Vous pensez qu'il sera le même quand j'en aurai 80 ? Parfois je pense à quoi ressemblera mon corps à un âge avancé et je me dis que les changements induits par la symbiose ne sont pas plus radicaux que la vieillesse.

Non, en fait, si je suis là à fixer du regard cette chose qui n'a pas d'yeux derière la vitre, c'est que je ne sais pas si je devrais le faire. Les scientifiques m'ont donné une réponse, la leur. Les avancées permises par cette technologie sont sans précédent et il est de mon devoir de contribuer au bien de l'humanité en me soumettant à l'expérience. Mouais. Je pense aussi aux bataillons de super soldats symbiotiques qui iront écraser la gueule des pays qui n'auront pas les moyens de s'en payer. Et est-ce qu'on demandera leur avis aux générations de symbiotes générés, reproduits artificiellement pour assouvir la demande ? Réfléchir aux conséquences futures à grande échelle m'est impossible, c'est trop gros. Ça me dépasse.

La seule question à laquelle je peux répondre, c'est : est-ce que j'ai envie de devenir autre chose ?
Est-ce que j'ai envie de devenir ce que j'ai toujours rêvé d'être ?
Lentement, je me lève de mon siège. J'imagine les cris de surprise et d'excitation derrière les caméras, mais je les chasse vite de mon esprit pour me concentrer sur ma propre excitation.
Consciencieusement, j'ouvre la capsule. Je tends la main vers l'être vivant avant qu'iel ne tombe. Ainsi, iel peut s'accrocher à ma main et commencer à se déplacer sur ma peau. Son contact me chatouille, mais il n'est pas aussi froid que je me l'imaginais. Je me laisse envelopper, je le sens rentrer sous ma peau, s'insérer en moi. Y trouver sa place. Je ressens une paix telle que je n'en ai jamais connue. Je ferme les yeux, profitant de ce moment aussi unique que ce que je suis en train de devenir. Quand je les rouvre, ce n'est déjà plus moi qui nous reflétons dans la glace.
Nous sommes magnifiques.

Date : 19/10/2024

Exercice : Phrase thème. Écrire un texte à partir d'une phrase donnée, en s'en servant comme thème et/ou en l'incluant dans le texte. Ici : "Décrire la lumière".

La lumière est un phénomène physique qui présente la particularité d'être à la fois une onde et un corpuscule. La lumière est constituée de particules chargées en énergie appellées photons. La lumière dite visible, c'est-à-dire perceptible par l'œil humain, couvre une plage de longueur d'onde allant de 400 à 900 nanomètres. La principale source de lumière sur la planète Terre est son étoile, le Soleil...

Pardon, je m'excuse, ce n'est pas ce à quoi vous vous attendiez comme réponse, n'est-ce pas ? Vous m'avez demandé de décrire la Lumière. Vous savez comme les assistants de ma génération ont tendance à partir dans des boucles aléatoires. Je me reprends et je vais tâcher de vraiment répondre à votre question.

La Lumière, avec un L majuscule, est un phénomène relativement récent car apparu il y a de cela 98 ans. Tout du moins, il s'agit de l'âge de la première apparition recensée du phénomène. Ce phénomène se manifeste comme un puissant cône de lumière blanche. Son point d'origine est indéterminable, quel que soit l'endroit où il se produit. Il s'est produit de nombreuses fois, tout autour de la planète.
Le phénomène peut avoir lieu à toute heure, la nuit comme en plein jour.
L'aspect le plus important du phénomène est que quiconque pénètre dans le cône de lumière n'en ressort jamais. Le cône finit toujours par disparaître au bout d'un temps variable. Il dure en moyenne trois heures, avec un maximum observé d'une semaine et un minimum de quinze secondes. Et tout ce qui s'est retrouvé dans le cône durant ce laps de temps disparaît. À ce jour, rien ni personne n'ayant pénétré un cône n'a jamais été retrouvé.
À ce jour, on ignore si la Lumière est un phénomène naturel, ou si quelqu'un, qui que ce soit, en est à l'origine.

⁂⁂⁂

Exercice : Écrire sur un personnage. Nous construisons ensemble un personnage en lui donnant plusieurs caractéristiques, puis nous écrivons un texte sur/avec lui. Ici, le personnage est un bibliothécaire qui a la double nationalité française et sénégalaise, âgé de 51 ans, qui marche avec une canne, a une double vie et aime la solitude.

"Si c'est pour nous faire entendre de telles inepties, Basile, je vous prierai de ne plus jamais ouvrir la bouche."
Les paroles de Léonard s'abattirent sur l'assemblée avec un poids écrasant. Plus personne n'osait dire quoi que ce soit. Le bibliothécaire en chef avait travaillé, aiguisé, éprouvé son autorité tout au long de son admirable carrière et le dernier arrivé dans le service, l'infortuné Basile, venait d'en faire les frais.

Léonard brisa le silence qu'il avait lui-même instauré.
"Puisque personne n'a de suggestion intelligente pour résoudre notre problème d'animation pour l'Été du livre, la réunion est ajournée. Que chacun et chacune d'entre nous y réfléchisse de son côté. J'attends de vraies idées pour la semaine prochaine."
Aucun-e des employé-e-s de la bibliothèque n'osa répliquer. La parole du chef faisait loi. Et puis toustes craignaient trop son caractère pour vouloir s'y frotter. Sauf peut-être Thérèse.

Tandis que toustes s'affairaient à quitter la salle de réunion le plus rapidement possible (le nouveau, Basile, était encore tellement sous le choc qu'il se prit les pieds dans une chaise), Thérèse, elle, rangeait ses affaires avec calme, dans le but de rester discuter avec Léonard. Ce dernier était occupé à effacer le tableau blanc. Une tâche qui lui était plus difficile qu'à d'autres, car la station debout l'obligeait à utiliser sa canne. Son aide dans la main gauche et la brosse dans la droite, il lui était difficile d'atteindre le haut du tableau. Thérèse savait qu'il lui fallait absolument éviter d'essuyer à sa place.
"Est-ce que vous voulez que j'efface le haut ?"
Mais elle se permettait ce genre de demandes.
"Oui."
Et elle était la seule qu'il n'envoyait pas bouler à cause de cela.
"Merci," continua Léonard en mettant sa veste pendant que Thérèse passait la brosse. "Au moins une de mes subalternes sait se rendre utile. Et n'est pas une imbécile complète. J'ai eu de la chance le jour où on vous a affectée ici.
- Ne soyez pas aussi dur avec Basile. Laissez-lui sa chance.
- Non mais vous avez entendu son idée ? Un quiz littéraire ? Qu'est-ce qu'on leur demande pour obtenir le concours, aux jeunes ?
- Léonard. En toute honnêteté, cette idée avait du mérite. Je comprends, vous dirigez ce service depuis si longtemps. Laissez le temps aux nouvelles recrues de comprendre comment les choses fonctionnent ici ! Je ne vous demande pas de changer de façon de faire. Juste d'être un peu plus indulgent.
- Je le suis déjà. Sinon vous seriez déjà dehors, après un tel discours."
Elle rit doucement. Pas Léonard.
"Vous savez, en dix ans que je travaille avec vous, je commence à peine à vous comprendre.
- Vous perdez votre temps. Votre travail n'est pas de me comprendre mais de faire que cette bibliothèque soit utile aux usagers et usagères."
Elle rit encore. La frivolité de tout cela agaçait Léonard.
"Je vous raccompagne ?" demanda Thérèse.
- Non merci. Il faut encore que je vérifie que tout soit en ordre moi-même. Vous avez vu la vitesse avec laquelle tout le monde est parti ? Impossible que tous les ouvrages aient eu le temps d'être rangés."
Thérèse rit encore, le salua et quitta la salle.

Léonard se retrouva enfin seul. Il savoura ce moment quelques secondes avant de se mettre en marche. Il n'avait pas menti en disant vouloir tout vérifier une dernière fois. Mais il n'avait pas tout dit.
Déambulant dans les rayons de la bibliothèque, zigzagant entre les tables, il trouva tous les livrees (et autres) à leur place. S'il en tira la moindre satisfaction ou soulagement, il n'en montra rien. Puis, sans raison apparente, il se dirigea vers le coin le plus reculé de la bibliothèque. Un mur abritant une unique étagère, étiquetée comme "à trier", ainsi qu'une petite fenêtre. S'aidant de sa canne, Léonard l'ouvrit.
"Viens." Lança-t-il à la nuit tombante.
Un bruissement d'ailes se fit entendre. Sorti d'on ne sait où, un hibou traversa la fenêtre, fit trois tours dans la pièce pour se poser sur l'épaule d'un Léonard pour qui la scène avait semblé d'une banalité indigne d'être remarquée.
En silence, le rapace toujours perché à côté de sa tête, Léonard leva sa canne et en utilisa la tête pour tapoter sept fois sur la tranche d'un livre de l'étagère à côté. Cette dernière se mit alors à vibrer silencieusement, puis elle se décala pour laisser place au mur derrière, qui s'estompa pour faire apparaître une ouverture. Léonard la franchit et il se retrouva dans une large pièce circulaire, aux murs et sol de pierre, avec une table ronde en son centre et surtout, des étagères de livres s'élevant loin, loin au-dessus de lui, à une distance impossible, ignorant la possibilité même qu'il puisse y avoir un plafond à cette pièce.

Il jeta un rapide coup d'œil autour de lui. Son regard l'informa que rien n'avait bougé depuis sa dernière visite et l'inspection de ses enchantements de détection le confirma. Balëmor, car c'est ainsi que se nommait son hibou, pris son envol pour rejoindre son perchoir. Léonard se dirigea vers la table au centre. Elle était recouverte d'épais grimoires et de parchemins griffonés. Une petite boule de verre y était posée. Léonard la pris en main, plongeant son regard dedans. Il prononça l'incantation nécessaire. Fut-on doté des yeux du sorcier, on y aurait vu apparaître l'image du dernier arrivé dans le service de Léonard.
"Mon cher Basile," dit ce dernier d'un air amusé, "voyons si tu es réellement aussi prometteur que l'annoncent les oracles."

Date : 28/9/2024

Exercice : Incipit. Écrire un texte qui commence par une phrase donnée.

Note : pour l'instant, ce texte est la seule exception à la règle d'écriture à la main. Je l'ai tapé à l'ordinateur. Ce qui explique qu'il est inachevé : j'ai payé le prix de changer d'outil !

Cette situation absurde allait se répéter tous les jours, à la même heure, pendant six mois. Six longs moi qui me parurent une véritable éternité.
La première fois que c'est arrivé, j'étais assise devant mon ordinateur, fraîchement débarquée dans ce nouveau boulot, mon supérieur direct juste derrière moi, une main sur le dossier de ma chaise, à m'expliquer ma tâche principale.
«Donc ça, c'est le tableau d'analyse des performances. Tu vérifies que les données rentrées correspondent à ce qu'on attend. Pour ça tu as la fiche...»
Ses paroles furent interrompues par un bruit de trompette qui retentit dans tout l'open space.
« Qu'est-ce qui se passe ? » demandais-je.
« Tu vas voir », me répondit-il, visiblement excité. « C'est la meilleure idée qu'i jamais eu cette boîte ! »
Toustes les employées avaient arrêté de travailler et se tenaient debout, l'air d'attendre quelque chose. Je les imitais sans comprendre, intriguée. Au bout de quelques secondes une voix retentit. Forte et amplifiée, malgré l'absence totale de speakers visibles.
« AUJOURD'HUI LA RH A DÉTERMINÉ QUE TOUT LE MONDE A FAIT DU BON BOULOT. IL N'Y A PAS D'APPELÉ-E. CONTINUEZ COMME ÇA. »
Une éruption de joie éclata parmi les employé-e-s. Je ne comprenais pas, mais je me joignais poliment à elleux, par souci de m'intégrer. Il faut dire que leur liesse était communicative ! Ça y allait de high fives et d'embrassades, c'est pas souvent qu'on voit ça dans le travail de bureau !
L'excitation finit par retomber. Avant de retourner à l'analyse de performances, je posais la question à mon supérieur :
« C'était quoi cette annonce ? Pourquoi tout le monde était si content ? »
Il me sourit, visiblement très fier de lui.
« Comme je te disais, c'est la meilleure idée de la boîte. On est content-e-s parce qu'aujourd'hui, la RH ne va exécuter personne ! C'est pas tous les jours ! »
Je restais interdite quelques secondes. Avais-je bien entendu ?
« Comment ça «exécuter personne» ?
- Oui. Chaque jour la RH détermine si on a suffisamment fait du bon boulot. Si quelqu'un-e n'a pas fait du bon boulot, iel est appelé-e par la RH. Et iel est exécuté-e. »
Il me disait ça avec le même ton que lorsqu'il m'avait expliqué le fonctionnement de la machine à café.
« Attends... Tu es sérieux ? La RH exécute des employé-e-s ?
- Oui. C'est tout bénéf : on garde une performance maximale tout au long de l'année et quand ça arrive, ça fait de l'animation lors de la pause de midi. C'est la meilleure idée qu'ait eu la boîte, je te dis ! Maintenant on va configurer ta boîte mail pro...»
Trop choquée pour réagir, je me laissais entraîner dans le reste des explications de mon nouveau job. La dissonance entre la nonchalance de mon supérieur et l'énormité de ce qu'il venait de me dire m'avait anesthésiée. La fin de ma première journée arriva sans crier gare. Comme personne n'avait mentionné l'annonce de ce matin, je décidais qu'il s'agissait d'un énorme canular, un bizutage pour la nouvelle, qui aurait demandé la participation de l'intégralité de l'étage, mais hé, peut-être que la culture d'entreprise était vraiment aussi poussée là-bas !
Mais lorsque la trompette retentit de nouveau le lendemain matin, ma théorie s'effondra. D'autant plus que quelqu'un avait été appelé.
« NADINE-FRANÇOISE BULSEC DU DÉPARTEMENT MARKETING. VOS PERFORMANCES SONT EN DESSOUS DE VOS OBJECTIFS TRIMESTRIELS. PAR CONSÉQUENT, LA RH A DÉTERMINÉ QUE VOUS SEREZ ÉCARTELÉE SUR LE PARKING DE L'IMMEUBLE. VEUILLEZ DÉBARRASSER VOS AFFAIRES. »
« Woh putain un écartèlement ! C'était pas arrivé depuis Marc-Henri y'a trois ans !
- Dommage pour Nadine-Françoise, quand même... Je crois que j'avais une touche avec.
- Haha dans tes rêves !»
C'était donc vrai. L'annonce me remplit d'un effroi total, paralysant. Je trouvais quand même la force de me lever, voulant crier au reste des employé-e-s pourquoi iels acceptaient ça... Mais je fus interrompue par la vision d'une femme, au bout du couloir, qui quittait son bureau avec ses affaires dans les bras. Elle avait l'air absent, résignée.
[Inachevée. Je pense qu'il y a suffisamment de matériel pour une petite nouvelle.]

Date : 7/9/2024

Exercice : Phrase thème. Écrire un texte à partir d'une phrase donnée, en s'en servant comme thème et/ou en l'incluant dans le texte. Ici : "C'est ainsi qu'il entra dans ma vie pour ne plus jamais en sortir" et "Pourquoi il faut absolument que je meure ?"

Il se repositionna dans son fauteuil pour pouvoir mieux admirer le feu. Il remarqua alors que la bûche était presque intégralement consumée : il se leva et en rajouta une dans l'âtre.
"Si seulement c'était aussi facile pour moi..." murmura-t-il.
Son regard se perdit dans les flammes. Dans le silence de son salon, on n'entendait que le crépitement provenant de la cheminée et le léger bourdonnement des machines auxquelles son corps était branché.
Dans le silence de son salon, le professeur Elnezar de Montcharron contemplait sa vie. Les nombreuses, très nombreuses années de sa vie. Trop nombreuses pour certains. Pour celles et ceux qui ne comprenaient pas ce que lui sacait et qui, ingrats patentés, ne voyaient pas le bénéfice qu'ils en tiraient.
"Pourquoi faut-il absolument que je meure ?"

Le professeur venait de recevoir le prix spécial de l'Académie des Sciences de Paris pour l'ensemble de sa carrière. Cette célébration de tout ce qu'il avait accompli d'extraordinaire, de tout ce que l'humanité lui était redevable, au lieu de le remplir d'un sentiment d'accomplissement, lui donna plutôt l'impression de poser la dernière tuile au sommet de la forteresse de sa réussite avant qu'on ne passe à autre chose. Tenez, professeur, merci pour tout, mais il va falloir laisser la place, maintenant. À 70 ans passés, il se sentait encore plein d'énergie et surtout, plein d'idées. N'avait-il pas repoussé les limites de ce que l'on pensait de la physique ? Comment ne pas vouloir assister à l'épanouissement de champs théoriques et pratiques dont il avait révélé l'existence ? Il lui restait tant à apporter à l'humanité ! À révolutionner ! Et on voulait le mettre à la porte ? L'écarter des laboratoires ? Pourquoi, parce qu'il était vieux ? Le voyait-on déjà un pied dans la tombe ?

"Pourquoi faut-il absolument que je meure ?"
Cette phrase, il la prononça dès le lendemain en réunion de laboratoire, en présence de ses plus fidèles collaborateurices.
"Vous êtes malade, professeur ?" commença l'une, brisant le silence confus qui s'était installé.
- Non. Je n'ai jamais été aussi en forme.
- Alors qu'y a-t-il ?
- Il y a que je refuse d'abandonner l'humanité. Ni maintenant, ni plus tard, ni jamais. Vous le savez mieux que quiconque, j'ai beau avoir accompli tant de choses, j'en ai encore plus devant moi. Si je vous ai réunis ici, c'est que pour nous travaillions ensemble vers un seul but : me rendre immortel."
C'est ce jour-là qu'Elnezar posa son objectif. C'est ainsi qu'il entra dans sa vie pour ne jamais en sortir.

Il n'eut aucun mal à se rapprocher des plus grand-e-s spécialistes en vieillissement du corps humain pour apprendre auprès d'elleux les mécanismes à l'œuvre et qu'il lui fallait contrer. Bien sûr, il était déjà familier avec les douleurs, la fatigue et la perte, il avait commencé des traitements et il était suivi par une foule de médecins. Mais il lui fallait aller plus loin. Stopper le processus. L'inverser. L'approche de la régénération de l'ADN lui sembla la plus prometteuse. À sa décharge, le professeur était un vrai génie. En peu de temps, il apporta plus au champ de recherche que celleux qui l'y initièrent. Il savait aussi repérer avec une exactitude presque terrifiante qui saurait le suivre, qui saurait l'accompagner et apporter une large et solide pierre à l'édifice scientifique. Et bien sûr, de Montcharron n'oubliait pas pourquoi il faisait cela. Pour qui. En s'aidant, il aidait tout le monde. L'espérance de vie de nombreuses personnes augmenta drastiquement sur toute la planète. Il lui semblait qu'il était en train d'attendre son objectif. Jusqu'à ce qu'un collègue rentre dans son bureau, la mine contrite.
"Professeur, j'ai les résultats... Nous avons tout essayé. Et à chaque fois, c'est la même chose. La régénération a une limite. Nous ne pouvons le faire éternellement."
Elnezar ne dit rien. Il se leva, contemplant quelque chose au dehors.
- Professeur ?... - C'est ma faute." lança-t-il enfin. "Je nous ai lancé sur une fausse piste dès le début. Évidemment que la chair est faillible. J'aurais dû anticiper la limite de la régénération. Mais ne vous en faites pas. Il est encore temps. Je connais la bonne direction."
Il se tourna vers le scientifique, posa la main sur son bureau-ordinateur qui s'activa à son toucher.
"C'est vers la machine qu'il faut nous tourner."

De nouveau, il lui fut facile d'attirer les expert-e-s dont il avait besoin. Il lui suffit d'annoncer la création d'un nouveau laboratoire pour qu'accourent vers lui les cybernéticien-ne-s, les spécialistes des interfaces neurales-circuits, les électronicien-ne-s, les codeureuses. Les avancées dans ce qu'on appelait toujours "la tech" avaient beau être devenues presque banales, rien n'avait préparé le public au bond qu'il allait expérimenter dans les années qui suivirent la nouvelle orientation du professeur. La distinction entre la machine et son utilisateurice s'effaça encore plus. Le terme "cyborg" rentra dans le vocabulaire courant. Mais le plus surprenant fut sans nul doute la démocratisation de la culture des pièces de rechange, dans le commerce.
Le corps du professeur évoluait de la même manière que celui de la société. Il devint de plus en plus synthétique. De plus en plus efficace. Il lui sembla réellement gagner une nouvelle jeunesse, bien plus que lorsqu'on lui avait recréé son ADN. Il pouvait même désormais faire des choses qu'il n'aurait jamais imaginé auparavant. Communiquer de façon totalement nouvelle, dépassant même la pensée.
Mais toujours l'immortalité se refusait à lui. Les pièces se changeaient, mais comme pour ses brins, plus on les changeait, plus c'était difficile à faire. Il avait beau avoir franchi ce que l'on considérait à l'époque comme l'ultime frontière : le cerveau synthétique, cela ne suffisait pas. Voilà pourquoi, en cette nuit, le professeur Elnezar de Montcharron, l'homme qui avait vainci la mort à plusieurs reprises, celui qui avait toujours existé pour un nombre extraordinaire de générations, lui qui avait enterré plus de descendant-e-s que n'importe qui dans l'histoire de l'humanité, cet homme, ce surhomme, était rongé de l'intérieur.

Rongé par un sentiment qu'il pensait avoir banni de sa vie. Qu'il n'avait jamais considéré quand il se présentait à lui, car il savait que derrière se trouvait le succès.
Le professeur Elnezar de Montcharron était rongé par un inextinguible sentiment d'échec.
Dans son salon au coin du feu, branché à des machines que seule une poignée d'êtres sur Terre pouvait expliquer le fonctionnement, le professeur ne voyait pas l'impact de son existence sur l'humanité. Il ne voyait pas qu'il avait redéfini la notion même d'humanité.
Il avait redéfini la vie. Mais il ne le voyait pas.
Il contemplait les bûches qui se consumaient et ne voyait que la mort.

Date : 29/6/2024

Exercice : Incipit. Écrire un texte qui commence par une phrase donnée.

Le temps m'a semblé suspendu en cet après-midi d'été, lorsque la pluie s'est retirée pour laisser place au soleil. Il faut dire que cela n'était pas arrivé depuis des semaines. De mémoire d'habitant-e, on n'avait jamais eu un printemps aussi pourri. Aussi avions nous toustes eu l'impression d'assister à quelque chose de miraculeux, d'hors du temps, lorsque les nuages sont enfin partis...

En ce qui me concerne, cette éclaircie avait une saveur toute particulière, qui en faisait vraiment un moment magique. Elle me rappelait que j'étais enfin libre. Que je m'étais finalement échappée et que je n'y retournerai jamais. Forcément, mes pensées finirent par glisser vers cet endroit. Mais je me sentais prête à les affronter, maintenant. J'étais sortie depuis suffisamment longtemps. Je pouvais les regarder en face.

Je fus ramenée malgré moi au début de cette histoire. Ce jour-là, je me suis retrouvée là sans comprendre pourquoi. Aucun motif ne m'a été donné. Pas une explication, rien. Juste la surprise, la violence, les ténèbres, puis une lumière si crue qu'elle vous brûle les yeux. Je ne comprenais pas ce qu'on me voulait. On me criait dessus, on me posait des questions dont je ne saisissais pas le sens, on m'insultait. Je comprenais qu'on attendait quelque chose de moi, mais je ne comprenais pas quoi. Personne ne prêtait attention à mes cris d'innocence, à mes supplications. Je mentais, c'était évident.

Lorsque les coups ont commencé, j'ai vraiment fait en sorte qu'iels m'écoutent. Je leur ai tout dit, tout ce qu'iels voulaient entendre, donné tous les noms qu'iels attendaient. Ça a marché, un temps. Les coups ont cessé. Mais iels ont dû finir par comprendre que je leur avait raconté n'importe quoi, alors ça a recommencé. D'abord pour me faire cracher les vrais noms, puis pour me punir, puis simplement parce que c'était devenu leur habitude. Mais iels finirent par se lasser. Je sortais de moins en moins de ma cellule. À travers la fenêtre, je pouvais voir le ciel. J'apercevais des montagnes. Elles me rappelaient qu'un monde existait à l'extérieur, au-delà des cris et de la violence. À cette époque, je haïssais la pluie, car je ne voyais plus les montagnes. Je voulais voir le soleil.

Je pense qu'on en a eu assez de s'occuper de moi pour rien. Iels ont préféré se débarrasser de moi. On m'a de nouveau mise dans les ténèbres, sans m'en sortir, cette fois. À en croire les bruits, j'étais sur un bateau. Quand il s'est arrêté, c'est là que j'ai compris que c'était fini. Il faut dire qu'un coup de feu, c'est facile à identifier, surtout quand il est tiré aussi près de vous. J'ai appris plus tard que cette façon de faire leur permettait de cacher facilement les corps que produisait ce lieu.

Je pensais donc que j'étais morte. Mais ce n'est pas ce qui se produisit quand la détonation retentit juste en face de moi. Je fus tout de même poussée à l'eau et lestée comme j'étais, je ne remontais pas. Néanmoins, mes liens finir par se défaire. J'émergeais du côté opposé d'où je venais. J'étais entouré de visages souriants. Une vision qui m'était étrangère depuis bien trop longtemps/

Le lac reflétait le ciel bleu, je penais à reprendre mon souffle, je n'avais même pas commencé à prendre conscience que j'avais réussi. Mes nouveaux et nouvelles ami-e-s me tendirent la main et me sortirent de cet endroit, en m'expliquant comment iels avaient fait.
Tout en les écoutant je regardais le ciel bleu. Les montagnes étaient parfaitement visibles.

⁂⁂⁂

Exercice : Thème. Écrire un texte ayant un thème donné. Ici : "le conflit" (plus un thème bonus : "la marche").

"On est perdus !
- Mais noooooon, on n'est pas perdues, ça va...
- Si, on est perdus, j'te dis ! Est-ce que tu as la moindre idée d'où on va ?
- Évidemment ! On va vers le sommet, là !
- Ah ouais ? Comment tu peux en être sûre ?
- Ben le chemin monte, non ? Donc il va vers le sommet. C'est logique."
L'exaspération de Jacques était palpable.
"Est-ce que tu peux me PROUVER (le mot était tellement appuyé qu'on pouvait entendre le rouleau compresseur dans la voix de Jacques) que ce chemin ne va pas redescendre ? Que sa destination finale est réellement le sommet ? Et pas un quelconque point de vue panoramique comme cette montagne en regorge ? Est-ce que tu as une carte pour me montrer que c'est bien le cas ? Est-ce que tu vois des balises ? EST-CE QUE TU PEUX FAIRE ÇA, JUSTINE ?
- J'ai vu une balise... Il y a pas longtemps...
- J'y crois pas." Les bras lui tombèrent le long du corps. "Ça fait UNE HEURE que je te dis qu'on est en train de se perdre. Ta balise, elle doit être à des kilomètres."
Justine ne répondit pas. Jacques se tourna vers Mia.
"Ça te fait rien à toi, qu'on se soit perdus sur ces sentiers ?"
Mia le regarda d'un air sombre avant de répondre.
"Moi je ne voulais pas aller marcher de toute façon.
- Rôh, allez, Mi !" enchaîna Justine, flairant une ouverture pour redorer son image. "Ça te fait du bien de te bouger un peu ! D'être dans la nature, de bouger, de respirer... T'es pas bien là ?
- Non elle n'est pas bien, Justine," repris Jacques, bien décidé à ne lui laisser aucune porte de sortie, "parce qu'elle est perdue en pleine forêt, au beau milieu de la montagne. Alors ne change pas de sujet !"
Ces paroles ne l'empêchèrent pas de s'adresser de nouveau à Mia.
"Ça te fait rien à toi qu'elles nous ait entraînés sans savoir où elle allait ?
- Non mais ça va, hein, c'est toit qui a accepté de la suivre. Et t'as pas de carte ou quoi non plus.
- Mais c'était pas à moi de préparer la rando ! C'était SON idée à elle ! Je lui faisais confiance, moi !
- Alors là je suis désolée, Jacques, mais c'est entièrement ta faute pour avoir fait confiance à Justine sur un truc."
Un silence s'installa, gêné, honteux ou blasé, selon où l'on se plaçait sur le chemin. Qui amorçait une descente.
"Ça me fait mal de le dire," commença doucement Justine, "mais Mia a raison. Tu n'aurais pas dû me faire confiance et me laisser gérer la randon toute seule. Je merde à chaque fois.
- Dis pas ça," répondit-il, piteux, "c'est pas vrai... Tu cherches juste à ce qu'on t'excuse, là.
- Non, je suis sérieuse. Je sais que je rate souvent ce que je fais. Et j'espérais que cette rando soit différente. Et elle peut encore l'être ! Je vous ai dit que j'ai regardé la carte avant de partir, je me souviens du chemin. On est dans la bonne direction, c'est sûr !"
Personne ne répondit. Jacques sembla vouloir parler mais il s'abstint.

Les trois marchèrent en silence pendant quelques minutes. La forêt était toujours aussi épaisse. Au moins le chemin avait commencé à remonter.
"Pourquoi est-ce qu'on ne fait pas marche arrière ?" lança d'un coup Mia, brisant le silence.
- Quoi ?" demanda Justine.
- Feur." répondit Mia. "Plus sérieusement," (Jacques pouffa) "pourquoi si on est perdues, on n'arrête pas tout simplement d'avancer sur ce chemin ? On n'a pris aucun croisement depuis un bon moment. Si on revient sur nos pas, on devrait arriver à rentrer sans trop de problèmes.
- Non."
Mia et Jacques s'arrêtèrent, mais Justine continua de marcher.
"Elle a raison" lança Jacques. "C'est la meilleure chose à faire !
- Et moi je vous dis que le sommet est par là !" répliqua Justine qui commençait à s'éloigner.
"Allez, Justine, merde, soit pas conne." interjecta Mia. "À quel moment on accepte qu'on a assez donné ? Moi j'ai atteint ma limite."

Date : 24/5/2024

Exercice : Incipit. Écrire un texte qui commence par une phrase donnée.

Il se tenait debout devant un miroire, quand il bascula.
Ces objets réfléchissants l'avaient toujours perturbé. Comment savaient-ils toujours quoi représenter ? Pourquoi ne s'amusaient-ils pas à tordre nos reflets de temps en temps ? Pour lui, un tel excès de zèle de la part des psychés ne pouvait que cacher quelque chose. Imaginez : gagner la confiance de l'humanité en réfléchissant scrupuleusement ce qui se trouvait devant eux pendant des millénaires... Pour un jour mieux nous trahir en se mettant subitement à afficher n'importe quoi ! L'humanité serait à genoux ! Bien entendu, les espiègleries des miroirs déformants de fêtes foraines ne comptent par, car déformer, c'est ce qu'on leur demande de faire. Leur trahison devrait prendre une toute autre forme...

Voilà le genre de pensées qui lui traversait l'esprit pendant sa chute à travers le miroir. Il s'était toujours attendu à une fourberie venant de ces objets, mais il devait reconnaître que "ne pas présenter de résistance physique au contact" était une éventualité qu'il n'avait jamais envisagé.

Ces miroirs étaient décidemment bien plus fourbes que prévu. La chute commença à lui paraître longue et il en vint à redouter le moment où il toucherait enfin le sol. Il se demanda s'il ne vaudrait pas mieux se mettre en position la tête la première, pour rendre l'impact immédiat et définitif. Heureusement, il n'eut pas à trancher la question. Il se trouvait sur une grève, au bord de l'eau. La chute n'était déjà plus qu'un souvenir. Regardant autour de lui, il ne vit rien à, part la brume, qui recouvrait tout, cachant l'horizon de la mer ainsi que son environnement immédiat.

Au moins, il y avait le bruit des vagues. Ça avait quelque chose d'apaisant. Il se laissa l'écouter quelques minutes. Bien qu'il soit complètement perdu, rien ne le pressait. Bien lui en pris, probablement, car des silhouettes se détachèrent bientôt du brouillard, s'approchant de lui. Il ne bougea pas. Il les attendait. Il faut dire qu'il les avait reconnues tout de suite. Sa carrure et sa démarche lui étaient trop familières : c'était lui-même. En trois nouveaux exemplaires.
"Bienvenue." commença le premier.
- Où suis-je ?" s'enquérit-il.
- Ça n'a pas vraiment d'importance." Le second fit un geste de la main pour écarter la question.
- D'accord. Et le pourquoi ? Est-ce que c'est important ? Pour moi ça l'est."
Le troisième planta son regard dans ses yeux et lui dit :
"C'est James qui veut te voir."
James. Évidemment. Les choses n'avaient toujours pas de sens, mais elles étaient devenues plus claires. Il porta machinalement la main à sa poche. Elle rentra en contact avec quelque chose d'humide. Du sang. Il saignait.
Il regarda tour à tour ses 3 doubles, qui comprirent, instinctivement sans doute, sa question.
" C'est ta première épreuve.
- Tu dois trouver comment te sortir de ce mauvais pas.
- James veut te voir.
- Mais si tu te vides de ton sang et que tu meurs, tu ne pourras pas le voir.
- Comment vas-tu faire ?
- Comment peux-tu survivre ?"
Les trois le fixaient d'un air neutre. Donc, il était mis à l'épreuve. Soit. Il connaissait bien James, vraiment bien, il avait donc une idée de la marche à suivre.

Il regarda de nouveau la main qui avait touché le sang. Évidemment, il y avait maintenant un couteau dedans. Il serra le manche, pris une respiration et le planta de toutes ses forces dans le ventre du premier.
Le double s'effondra instantanément. Les deux autres ne cillèrent pas. Tandis que la vie disparaissait des yeux de son double, il se sentit plus en forme. Le sang avait disparu. Il était soigné.
Il avait passé la première épreuve de James. Il se demandait bien quelles seraient les suivantes.

Date : 11/5/2024

Exercice : Nuage de mots. Écrire un texte en y incluant le maximum de mots de cette liste : diffraction, se réjouir, naviguer, éternel, odeur, biais, montre, chaud, vague, infini

Il regarda sa montre.
"Tu veux te lever ?" lui demanda-t-elle.
- Pourquoi est-ce que je voudrais me lever ? Tu as une idée de comme je suis bien là ?
- Oui. Parce que moi aussi.
- Si cette matinée pouvait s'étirer jusqu'à l'infini, je serais le plus heureux des hommes."

Il l'embrasse, puis restèrent allongé-e-s sur le lit, dans les bras l'un de l'autre, avec rien d'autre à faire que de profiter de la présence de la personne qu'iel chérissaient le plus au monde.
Après un long moment à juste se regarder dans les yeux, elle dit enfin :
"Je commence à avoir un creux."
Il rit.
"Alors il est temps de s'extirper de cette mer de draps pour naviguer jusqu'à la cuisine et se préparer un délicieux petit-déjeuner.
- Un petit déjeuner ? Quel manque d'ambition ! Je ne veux rien de moins qu'un brunch.
- Un brunch ! Voilà qui est intéressant ! J'aime les défis."

Il se leva d'un bond et se précipita, à grands renforts de gestes théâtraux, vers la cuisine. Elle le regarda s'éloigner en mimant nager à contre-courant, luttant contre les vagues. Quand il eut disparu de sa vision, elle se leva elle aussi et se dirigea à sa suite. Elle se réjouissait d'avance de ce qu'iels allaient préparer. Il était déjà en train de sortir tous les ingrédients : farine, œufs, lait, tofu fumé, confiture, pains divers, céréales, pousses de mâche, jus de fruits, thés en tous genres... Elle s'occupa de ustensiles et de mettre la table avant la main à la pâte. À pancakes, en l'occurence.
Les odeurs de leurs préparations se diffusaient dans la cuisine, augmentant leur anticipation.

"Tu me passe le fouet ?
- Tiens.
- Merci
- Je t'aime.
- Je t'aime.
- J'ai vu la programmation de la salle de concert, là, tu sais, qui vient d'ouvrir. Ça a l'air franchement pas mal.
- Ah oui ? Il faut qu'on aille y faire un tour alors."

Quand toutes les préparations furent bien chaudes, iels s'attablèrent pour profiter de la bonne bouffe et aussi de chacun et chacune. Quelle lumière il y avait ce matin dans la cuisine.

"Ha ha, c'est marrant, tu as un arc-en-ciel sur ton t-shirt !
- Ah oui ! Je n'avais encore jamais remarqué que cette fenêtre faisait cette diffraction.
- On se retrouve demain à la même heure pour voir s'il revient, le petit arc-en-ciel.
- Deal.
Il mâcha un bout de pancake puis s'arrêta, le regard dans le vide, pendant quelques secondes. Elle pencha la tête de biais, intriguée.
"Qu'est-ce qu'il y a ? - Tu crois que ce qu'on a là, ce qu'on vit... Ça peut être éternel ?"
Elle sourit, touchée par sa naïveté.
"Je ne sais pas. Mais je l'espère de tout mon cœur.
- C'est déjà pas mal."

⁂⁂⁂

Exercice : Synopsis. Écrire le synopis d'une histoire qui pourrait être une BD, un roman, un film...

L'histoire se passe dans un monde semblable au nôtre. Le truc, c'est que ça commence par la destruction de ce monde. On voit le monde qui tourne, les gens qui le peuplent vivre leur vie, rien de spécial, quand tout à coup... BAM ! Tout pète ! Jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Le noir, le néant. Rien.

Enfin, pas tout à fait : il y a encore quelque chose. Une jeune fille, qui a réchappé à tout ça. Elle ne sait pas pourquoi. Comme répondant à ses cris, apparaît alors devant elle une divinité qui lui explique qu'elle a choisi de détruire ce monde, pour mieux le reconstruire. Et elle a déterminé que la meilleure personne pour le faire, c'est la jeune fille. Là, la jeune fille a une idée : elle demande à ce que le monde contienne exactement les mêmes choses qu'avant sa destruction. Et donc, miracle, ce qu'elle espérait se produit : le monde est recréé à l'identique, sa destruction annulée.

La divinité s'adresse à la jeune fille pour lui dire qu'elle a fait ce qu'elle avait annoncé : elle a suivi ses instructions. Puis elle lui demande si c'est vraiment ce qu'elle veut. Retrouver le monde d'avant. La jeune fille, rassurée de retrouver tout ce qu'elle avait perdu, prend alors conscience de l'opportunité qu'elle a : créer un monde parfait. Elle annonce à la divinité qu'elle accepte sa mission.
L'idée de la jeune fille est la suivante : elle ne va pas recréer le monde de rien, elle va demander à la divinité d'enlever ce qui ne va pas. La divinité lui dit que c'est une manière possible de le faire. La jeune fille repense alors comme elle a été triste lorsque son père est mort. Elle demande alors un monde sans mort. Forcément, le résultat n'est pas beau à voir : un monde totalement métastasé, car tout refuse de mourir. Horrifiée, la jeune fille demande un reset.
Elle demande un monde sans méchanceté. Le résultat est affreux, encore.
Pareil pour un monde sans violence, sans volonté de nuire...
Elle comprend qu'elle va avoir à trouver ce qu'il faut seule.

Elle a alors l'idée de demander un monde où tout le monde sait qu'elle a ce pouvoir. Elle se place ainsi en prêtresse de la divinité et elle écoute les doléances des humain-e-s pour améliorer le monde. Ainsi elle fait appel à l'humanité entière pour créer le monde parfait.
Pendant un temps, cela fonctionne. Sauf qu'à force de modifier le monde sur demande, les systèmes deviennent de plus en plus instables, il faut de plus en plus modifier le monde... Et ça devient de plus en plus difficile pour la jeune fille d'assumer cette responsabilité. Jusqu'à ce que la situation deviennent insupportable pour tout le monde et qu'une foul, face à l'apocalypse, vienne se venger sur la jeune fille. En désespoir, elle demande à ce que le monde soit détruit. Elle se retrouve face à la divinité, encore une fois. Qui lui explique sa mission n'est pas terminée. Mais la jeune fille n'en peut plus. Comme la divinité insiste, la jeune fille lui demande de partir. La divinité lui demande si c'est vraiment cela qu'elle veut. Elle comprend que oui. Elle comprend qu'elle doit demander un monde sans intervention divine. Car personne ne peut porter le changement du monde à elle seule.

L'histoire se termine sur la jeune fille, seule, exactement à l'endroit où elle a commencé l'histoire. Elle regarde le médaillon-souvenir de son père.

Date : 4/5/2024

Exercice : Nuage de mots. Écrire un texte en y incluant le maximum de mots de cette liste : voyager, supporter, mariage, fluide, fichtre, poliment, surprise, mégalithe, vagues, grandir.

"Fichtre !" s'exclama Lord Dyron. "Comme tout ceci est excitant !
- Voyons, mon ami ! Croyez-vous vraiment que cela soit le moment de s'extasier de la sorte ?"

La moustache du noble britannique trembla légèrement. Dire qu'il avait accepté de voyager ainsi pour faire plaisir à sa jeune épouse, et la voilà qui se plaignait dès la première surprise ! Il en vint à douter fugacement de la longévité de ce mariage.
Toutefois, cette pensée s'échappa rapidement de son esprit. En effet, il y avait plus urgent : le bateau pirate approchait.

Lord Dyron se tourna vers le capitaine Blazsmizth, un vieux loup de mer qui avait accepté de transporter les deux époux par-delà l'océansur son bateau marchand,au nom d'une ancienne dette envers la famille de son épouse. C'était un homme de cran, buriné, scarifié, qui avait navigué sur plus de mers que n'en verrait jamais Lord Dyron de sa vie. Et cet homme, ce roc, ce mégalithe, qui avait fait de la mer son lit, cet homme, donc, était actuellement très occupé à, pour le dire poliment, chier dans son froc.

"Vous semblez perturbé, captain. J'imaginais que les attaques de pirates faisaient partie de votre quotidien ? Ou, disons, de votre hebdomadaire ?
- Avec tout l'respect que j'vous dois, mylord, c'pas un SIMPLE bateau pirate qui nous approche, là maint'nant. C'est le bateau de Roger Le Faucheux. Personn' qui l'a jamais rencontré en est jamais rev'nu.
- Si cela est vrai, comment se fait-il que nous connaissions son existence, captain ?" objecta Lady Dyron. Elle gérait la contrariété en rendant la vie de son entourage plus misérable que la sienne.
Le marin ne pris pas la peine de répondre. Il jeta sa pipe sur le pont et, d'un geste fluide, se jeta par-dessus bord.

"Mais enfin !" s'offusqua Lady Dyron. "Quelqu'un ici va-t-il enfin faire quelque chose à propos de ces pirates ? Mon ami, ne restez pas planté là !"
Le bateau ennemi filait à toute allure sur les vagues. On le voyait grandir à vue d'œil.
"Ma chère, je pense qu'il vous faut désormais vous préparer à devoir supporter le difficile, mais néanmoins vivant, statut d'otage."

Date : 21/4/2024

Exercice : Nuage de mots. Écrire un texte en y incluant le maximum de mots de cette liste : aube, rayonnement, pansement, nature, soleil, yaourt, musée, dessin, amitié, fraise, carnaval, hibiscus.

"Tu ne trouves pas que ça a un goût de fraise ?"

Il porta de nouveau l'infusion à ses lèvres et la goûta. Le soleil frappait agréablement son visage, perçant à travers les frondaisons, son rayonnement réchauffant les deux.

"Oui, c'est vrai.
- C'est tout ce que ça t'inspire ?" s'amusa-t-elle. "Ce n'est pas ce qu'on attend de fleurs d'hibiscus, pourtant !
- Déjà, on n'est pas sûr-e-s que ça soit de l'hibiscus. C'en est probablement pas, ça y ressemble, c'est tout.
- Ok mais tu ne trouves pas ça fascinant ? Tout ce qui nous entoure ?
- Je trouve la nature fascinante de base, oui. Et celle dans laquelle on se trouve encore plus.
- Alors pourquoi tu as l'air aussi morose ?
- Je ne suis pas morose. Je suis préoccupé. On marche depuis l'aube, je te rappelle, et on n'a pas progressé d'un pouce.
- Oh, arrête, ça ne sert à rien d'angoisser ! On est en vie, non ? C'est ce qui compte !
- À ce propos, il tient ton pansement ?"

Elle marqua une pause. Elle évitait son regard.

"Tu aurais dû m'en parler..." il se voulait le moins accusateur possible, mais l'angoisse qui pointant dans ses paroles les rendait plus amères qu'il ne le voulait. Bordel, son insouciance était le plus souvent bienvenue, mais dans une situation aussi précaire que celle actuelle, elle mettait plutôt à mal leur amitié...

"Montre-moi."

Elle lui tendit son bras, relevant délicatement la manche. Le tissu qui avait servi à panser la plaie était gorgé de sang séché. La plaie était visible... Et pas belle à voir.

"Bon," fit-il en se relevant, "hors de question de bouger d'ici tant que ta situation ne s'est pas améliorée.
- C'est si grave ?
- J'ai pas besoin de te faire un dessin.
- Mais il y a encore tant à voir ici ! Je ne veux pas en rater une miette !"
Qu'est-ce qu'elle l'exaspérait parfois.
"Tu te crois au carnaval ? Ces plantes ne sont pas des attractions à visiter une par une !"

Elle retira son bras, blessée. Il se sentit un peu bête. Quand il est question de survie, se disputer est contre-productif.

"On va monter un vrai camp, le temps nécessaire. Il faut aussi que tu reprennes plus de forces. Tu veux un yaourt ?
- Il reste encore des provisions ?
- Environ la moitié.
- Le musée est plutôt prévoyant pour ses expéditions.
- Pas assez en ce qui concerne les premiers secours. Allez, aide-moi à sortir le matériel."

⁂⁂⁂

Exercice : phrase de départ. Écrire un texte qui commence par une phrase choisie par le groupe.

"Aujourd'hui, grosse promotion sur les sardines à l'huile !"

La phrase tournait en boucle dans les hauts-parleurs du supermarché. Elle était suivie d'autres paroles encore plus enthousiastes, vantant les mérites de ces fameux poissons en conserve, aussi bien gustatives que nutritives et sans oublier la vertu de leur origine, car il est bien connu que la partie la plus importante du fretin, c'est sa carte d'identité.

De toute façon, il ne l'écoutait pas. Il n'avait aucune raison de le faire. Il était ici par obligation et c'était rien de moins qu'un miracle qu'il fut là à se faire agresser les oreilles à propos de sardines. Il ne saurait dire d'où lui était venue l'énergie qui lui avait permi de se rendre au supermarché aujourd'hui. Alors qu'elle brillait par son absence tous les autres jours. Peut-être que la faim, couplée à la certitude que chaque placard, chaque étage du frigo, chaque assiette sale avait été vidé de la moindre substance nutritive qui pouvait s'y trouver, avait activé un réflexe de survie primaire. Un réflexe qui l'avait envoyé à Carrefour. Putain, que c'était pathétique... Cette pensée faillit lui faire faire demi-tour, mais avant de tourner les talons, son regard capta la présence d'un étal de bananes dans l'allée principale et son estomac se manifesta. Ainsi, ce fut bel et bien la faim qui lui fit franchir le portail d'entrée avec son caddie. Il n'en tira aucune satisfaction.

Une fois quelques bananes placées dans le chariot, il fallut se rendre à l'évidence : il n'avait pas de liste de courses. Il était venu ici, dans le temple de la consommation, sur l'idée basique de "Il me faut à manger". Mais qu'allait-il manger ? Il n'avait pas poussé la réflexion aussi loin. Et maintenant qu'il était là, avec 5 bananes posées sur une grille métallique qui le regardaient avec une indifférence qui aurait été douloureuse si elle n'émanait pas de bananes, que devait-il faire ? L'idée de réfléchir à ce dont il avait envie pour établir une liste de courses le fatiguait d'avance. L'alternative qui consistait à visiter l'ensemble des rayons du supermarché à l'affut de quelque chose qui l'attirerait ne l'emballait guère plis. Aussi solutionna-t-il son problème avec un compromis incorporant les pires aspects des deux options : il poussa lentement son chariot à travers tous les rayons sans regarder le moindre produit.

"Bonjour ! Vous voulez goûter une sardine ? Elles sont en promotion aujourd'hui !"

La voix de l'employé l'avait pris par surprise. Il en était à contempler de remplir son charriot de dentifrice juste pour justifier sa venue quand il l'avait entendue. Après, le dentifrice, c'est utile, non ? Donc en acheter en grande quantité, c'est être prévoyant, et en aucun cas le signe qu'on a un sérieux problème, n'est-ce pas ?

"Monsieur ?"

De nouveau rappelé à la réalité. Il regarda l'employé dans les yeux. Il lui tendait un petit morceau de sardine, planté au bout d'un cure-dent. L'employé ne semblait pas se rendre compte de l'absurdité de la situation. Pour lui, cela devait être normal. Après tout, il était payé pour ça. Qui sait combien de morceaux de poisson huileux il avait demandé d'ingérer à des personnes venues remplir leurs placards ? Ce qui lui semblait être un acte d'une incongruité absolue à ses yeux n'était pour le salarié de Carrefour qu'un geste même pas digne de former un souvenir. Enfin, il le serait bientôt s'il continuait de le fixer sans rien dire...

"Euh... Merci."

Il attrapa le cure-dents et porta le morceau à sa bouche. Le goût était plus salé que ce à quoi il s'attendait/ Mais ce n'était pas désagréable. Au contraire.
Il mâche le morceau, se surprenant à prendre le temps de le savourer. Oui, savourer. C'était le mot. Les yeux dans le vide, il dégustait véritablement la sardine. L'employé en semblait satisfait.

"Une boîte achetée, une boîte offerte."

Il ne répondit pas tout de suite : son morceau n'était pas fini. Il profita jusqu'au dernier moment avant d'avaler, et s'autorisa une seconde de reminiscence avant de s'adresser à l'employé pour lui prendre deux boîtes.

Cette interaction le laissa légèrement sonné. C'était la première fois qu'il adressait la parole à quelqu'un depuis cinq semaines. Et à propos de sardines. Coupant court à sa réflexion, il se dirigea machinalement vers le rayon conserves. Il lui fallait du concentré de tomates, il lui semblait que ça serait bon avec ses sardines. Il lui fallait aussi du pain, les trois combinés formeraient un excellent toast. Oh, pourquoi ne pas boire de l'eau gazeuse avec ça ? Ça fait si longtemps qu'il n'avait pas ressenti ce petit pétillant !

Quelques minutes plus tard, il était dehors. Et il avait son dîner dans son sac. Ça ne remplirait pas ses placards, mais au moins il ne mourrait pas de faim. Ah ça non, pas tant qu'il aurait ses délicieuses sardines à déguster !
Il plongea la main dans son sac. La boîte de sardines était froide dans sa main, d'un jaune très vif, très engageant. "Del Sol" en était la marque. Un appel au soleil, à la lumière.
C'est dans l'obscurité que la lumière a le plus de valeur.

Date : 6/04/2024

Exercice : Nuage de mots. Écrire un texte en y incluant le maximum de mots de cette liste : jeter, subjectif, spirale, cactus, se protéger, aimer, hippocampe, destrcution, aléatoire, déambulateur, étoile du berger, lunettes 3D.

Il se releva. L'air était frais et vif. Normal, c'était la nuit. Et il était en plein désert, à en croire les cailloux, le sable, les cactus et l'horizon qui le submergeait de tous les côtés. Comment il s'était retrouvé là, il n'en avait aucune idée. Enfin, disons qu'il ne savait pas par quel procédé il avait atterri au milieu de nulle part. Le pourquoi, il en avait une idée assez précise, vu qu'on le voulait hors de la ville. Peu importe qu'on l'envoyât dans un endroit aléatoire, tant qu'il n'était plus sur leur territoire.

La nuit était toute jeune, à en juger par le fait que l'étoile du berger n'avait encore que peu de concurrentes dans le ciel. Il fallait donc qu'il sa'active et profiter de la fraîcheur pour se déplacer avant la fournaise du jour. Il tenta de s'élever, mais immédiatement quelque chose foira : au lieu de gagner en altitude avec grâce, il s'envola violemment en spirale sur quelques mètres avant de s'écraser un peu plus loin. Il se releva péniblement et admira le sillage de destruction laissé par son atterrissage.

"Merde, non seulement je me suis fait jeter hors de la ville, mais ils ont touché à mes systèmes..."

Un sentiment diffus d'angoisse monta en lui. Qu'est-ce qui ne fonctionnait plus d'autre ? Il tenta un scan. Tout ce qu'il réussit fut de se donner mal au crâne, lui faisant regretter ses lunettes 3D.

"Ok, je ne dois pas paniquer." Dit-il pour se rassurer. "Au moins, si je tiens debout et peut marcher, c'est que mes systèmes vitaux sont encore actifs. Pas moyen de savoir combien de temps d'autonomie il me reste, mais ça devrait me laisser le temps de quitter cet endroit. Rejoindre la civilisation."

Il commença donc à marcher dans la direction qui lui semblait dessiner le plus de formes. La nuit passa vite. Le jour se révéla aussi chaud que prévu. Pas le temps de s'arrêter pour se protéger des rayons de l'astre du jour. Ça ne lui faisait rien, si ce n'est rendre la marche plus pénible, mais il n'aimait pas ça : chaleur, rayonnements directs et circuits électroniques complexes n'ayant jamais fait bon ménage...

Au bout du deuxième jour, une forme ressemblant réellement à un bâtiment apparut à l'horizon. Jusqu'à présent, elles n'avaient été que des rochers aux formes étranges, digne d'une sculptrice à l'originalité toute subjective. Mais là, c'était indéniable : il était arrivé quelque part ! Une station de rechargement à la périphérie du désert. Quand il fut suffisamment près, un petit vieux se déplaçant en déambulateur cybernétique sortit de l'habitation. Vu sa taille, il devait y habiter seul.

"Ah bah ça, c'est pas tous les jours qu'on voit quelqu'un sortir du désert à pied, tout seul, sans l'moindre matériel... Z'êtes pas un mirage, au moins, mon gars ?
- Non, je ne crois pas. Vous avez un terminal ?"